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gnets, et la contenance embarrassée. C’était le garçon qu’ils avaient réclamé au poste, l’année dernière.

N’ayant pu rendre à son maître le carton de dentelle perdu dans la bagarre, celui-ci l’avait accusé de vol, menacé des tribunaux ; maintenant, il était commis dans une maison de roulage. Hussonnet, le matin, l’avait rencontré au coin d’une rue ; et il l’amenait, car Dussardier, par reconnaissance, voulait voir « l’autre ».

Il tendit à Frédéric le porte-cigares encore plein, et qu’il avait gardé religieusement avec l’espoir de le rendre. Les jeunes gens l’invitèrent à revenir. Il n’y manqua pas.

Tous sympathisaient. D’abord, leur haine du Gouvernement avait la hauteur d’un dogme indiscutable. Martinon seul tâchait de défendre Louis-Philippe. On l’accablait sous les lieux communs traînant dans les journaux : l’embastillement de Paris, les lois de septembre, Pritchard, lord Guizot, — si bien que Martinon se taisait, craignant d’offenser quelqu’un. En sept ans de collège, il n’avait pas mérité de pensum, et, à l’École de droit, il savait plaire aux professeurs. Il portait ordinairement une grosse redingote couleur mastic avec des claques en caoutchouc ; mais il apparut un soir dans une toilette de marié : gilet de velours à châle, cravate blanche, chaîne d’or.

L’étonnement redoubla quand on sut qu’il sortait de chez M. Dambreuse. En effet, le banquier Dambreuse venait d’acheter au père Martinon une partie de bois considérable ; le bonhomme lui ayant présenté son fils, il les avait invités à dîner tous les deux.

— « Y avait-il beaucoup de truffes », demanda Deslauriers, « et as-tu pris la taille à son épouse, entre deux portes, sicut decet ? »

Alors, la conversation s’engagea sur les femmes. Pellerin n’admettait pas qu’il y eût de belles femmes (il préférait les tigres) ; d’ailleurs, la femelle de