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Pourquoi donc ? » dit Pellerin.

Sénécal répliqua :

— « Un homme qui bat monnaie avec des turpitudes politiques »

Et il se mit à parier d’une lithographie célèbre, représentant toute la famille royale livrée à des occupations édifiantes : Louis-Philippe tenait un code, la reine un paroissien, les princesses brodaient, le duc de Nemours ceignait un sabre ; M. de Joinville montrait une carte géographique à ses jeunes frères ; on apercevait, dans le fond, un lit à deux compartiments. Cette image, intitulée Une bonne famille, avait fait les délices des bourgeois, mais l’affliction des patriotes. Pellerin, d’un ton vexé comme s’il en était l’auteur, répondit que toutes les opinions se valaient ; Sénécal protesta. L’Art devait exclusivement viser à la moralisation des masses ! Il ne fallait reproduire que des sujets poussant aux actions vertueuses ; les autres étaient nuisibles.

— « Mais ça dépend de l’exécution ? » cria Pellerin. « Je peux faire des chefs-d’œuvre ! »

— « Tant pis pour vous, alors ! on n’a pas le droit… »

— « Comment ? »

— « Non ! monsieur, vous n’avez pas le droit de m’intéresser à des choses que je réprouve ! Qu’avons-nous besoin de laborieuses bagatelles, dont il est impossible de tirer aucun profit, de ces Vénus, par exemple, avec tous vos paysages ? Je ne vois pas là d’enseignement pour le peuple ! Montrez-nous ses misères, plutôt ! enthousiasmez-nous pour ses sacrifices ! Eh ! bon Dieu, les sujets ne manquent pas : la ferme, l’atelier… »

Pellerin en balbutiait d’indignation, et, croyant avoir trouvé un argument :

— « Molière, l’acceptez-vous ? »

— « Soit ! » dit Sénécal. « Je l’admire comme précurseur de la Révolution française. »

— «