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tes airs tragiques ! Tiens, les voilà ! et grand bien lui fasse ! »

Il courut chez Arnoux. Le marchand n’était pas dans sa boutique. Mais il logeait toujours rue Paradis, car il possédait deux domiciles.

Rue Paradis, le portier jura que M. Arnoux était absent depuis la veille ; quant à Madame, il n’osait rien dire ; et Frédéric, ayant monté l’escalier comme une flèche, colla son oreille contre la serrure. Enfin, on ouvrit. Madame était partie avec Monsieur. La bonne ignorait quand ils reviendraient ; ses gages étaient payés ; elle-même s’en allait.

Tout à coup un craquement de porte se fit entendre.

— « Mais il y a quelqu’un ? »

— « Oh ! non, monsieur ! C’est le vent. »

Alors, il se retira. N’importe, une disparition si prompte avait quelque chose d’inexplicable.

Regimbart, étant l’intime de Mignot, pouvait peut-être l’éclairer ? Et Frédéric se fit conduire chez lui, à Montmartre, rue de l’Empereur.

Sa maison était flanquée d’un jardinet, clos par une grille que bouchaient des plaques de fer. Un perron de trois marches relevait la façade blanche ; et en passant sur le trottoir, on apercevait les deux pièces du rez-de-chaussée, dont la première était un salon avec des robes partout sur les meubles, et la seconde l’atelier où se tenaient les ouvrières de Mme Regimbart.

Toutes étaient convaincues que Monsieur avait de grandes occupations, de grandes relations, que c’était un homme complètement hors ligne. Quand il traversait le couloir, avec son chapeau à bords retroussés, sa longue figure sérieuse et sa redingote verte, elles en interrompaient leur besogne. D’ailleurs, il ne manquait pas de leur adresser toujours quelque mot d’encouragement, une politesse sous forme de sentence et, plus tard, dans leur ménage, elles se trouvaient malheureuses, parce qu’elles l’avaient gardé pour idéal.