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expliqua le sujet de ces deux compositions en indiquant avec le pouce les parties qui manquaient. L’une devait représenter la démence de Nabuchodonosor, l’autre l’incendie de Rome par Néron. Frédéric les admira.

Il admira des académies de femmes échevelées, des paysages où les troncs d’arbre tordus par la tempête foisonnaient, et surtout des caprices à la plume, souvenirs de Callot, de Rembrandt ou de Goya, dont il ne connaissait pas les modèles. Pellerin n’estimait plus ces travaux de sa jeunesse ; maintenant, il était pour le grand style ; il dogmatisa sur Phidias et Winckelmann éloquemment. Les choses autour de lui renforçaient la puissance de sa parole : on voyait une tête de mort sur un prie-Dieu, des yatagans, une robe de moine ; Frédéric l’endossa.

Quand il arrivait de bonne heure, il le surprenait dans son mauvais lit de sangle, que cachait un lambeau de tapisserie ; car Pellerin se couchait tard, fréquentant les théâtres avec assiduité. Il était servi par une vieille femme en haillons, dînait à la gargote et vivait sans maîtresse. Ses connaissances, ramassées pêle-mêle, rendaient ses paradoxes amusants. Sa haine contre le commun et le bourgeois débordait en sarcasmes d’un lyrisme superbe, et il avait pour les maîtres une telle religion, qu’elle le montait presque jusqu’à eux.

Mais pourquoi ne parlait-il jamais de Mme Arnoux ? Quant à son mari, tantôt il l’appelait un bon garçon, d’autres fois un charlatan. Frédéric attendait ses confidences.

Un jour en feuilletant un de ses cartons, il trouva dans le portrait d’une bohémienne quelque chose de Mlle Vatnaz, et, comme cette personne l’intéressait, il voulut savoir sa position.

Elle avait été, croyait Pellerin, d’abord institutrice en province ; maintenant, elle donnait des leçons et tâchait d’écrire dans les petites feuilles.