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— « Mais je suis là, moi ! »

— « Oh ! oui ! »

Un sanglot de tendresse l’avait soulevée. Ses bras s’écartèrent ; et ils s’étreignirent debout, dans un long baiser.

Un craquement se fit sur le parquet. Une femme était près d’eux, Rosanette. Mme Arnoux l’avait reconnue ; ses yeux, ouverts démesurément, l’examinaient, tout pleins de surprise et d’indignation. Enfin, Rosanette lui dit :

— « Je viens parler à M. Arnoux, pour affaires. »

— « Il n’y est pas, vous le voyez. »

— « Ah ! c’est vrai ! » reprit la Maréchale, « votre bonne avait raison ! Mille excuses ! »

Et, se tournant vers Frédéric :

— « Te voilà ici, toi ? »

Ce tutoiement, donné devant elle, fit rougir Mme Arnoux, comme un soufflet en plein visage.

— « Il n’y est pas, je vous le répète ! »

Alors, la Maréchale, qui regardait çà et là, dit tranquillement :

— « Rentrons-nous ? J’ai un fiacre, en bas. »

Il faisait semblant de ne pas entendre.

— « Allons, viens ! »

— « Ah ! oui ! c’est une occasion ! Partez ! partez ! » dit Mme Arnoux.

Ils sortirent. Elle se pencha sur la rampe pour les voir encore ; et un rire aigu, déchirant, tomba sur eux, du haut de l’escalier. Frédéric poussa Rosanette dans le fiacre, se mit en face d’elle, et, pendant toute la route, ne prononça pas un mot.

L’infamie dont le rejaillissement l’outrageait, c’était lui-même qui en était cause. Il éprouvait tout à la fois la honte d’une humiliation écrasante et le regret de sa félicité ; quand il allait enfin la saisir, elle était devenue irrévocablement impossible ! — et par la faute de celle-là, de cette fille, de cette catin. Il aurait voulu