Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/437

Cette page n’a pas encore été corrigée

éloge irritait Frédéric ; et, désignant sur ses genoux un morceau de drap noir, avec des soutaches bleues :

— « Qu’est-ce que vous faites là ? »

— « Une veste que j’arrange pour ma fille. »

— « À propos, je ne l’aperçois pas, où est-elle donc ? »

— « Dans une pension », reprit Mme Arnoux.

Des larmes lui vinrent aux yeux —, elle les retenait, en poussant son aiguille rapidement. Il avait pris par contenance un numéro de l’Illustration, sur la table, près d’elle.

— « Ces caricatures de Cham sont très drôles, n’est-ce pas ? »

— « Oui. »

Puis ils retombèrent dans leur silence.

Une rafale ébranla tout à coup les carreaux.

— « Quel temps ! » dit Frédéric.

— « En effet ; c’est bien aimable d’être venu par cette horrible pluie ! »

— « Oh ! moi, je m’en moque ! Je ne suis pas comme ceux qu’elle empêche, sans doute, d’aller à leurs rendez-vous ! »

— « Quels rendez-vous ? » demanda-t-elle naïvement.

— « Vous ne vous rappelez pas ? »

Un frisson la saisit, et elle baissa la tête.

Il lui posa doucement la main sur le bras.

— « Je vous assure que vous m’avez fait bien souffrir ! »

Elle reprit, avec une sorte de lamentation dans la voix :

— « Mais j’avais peur pour mon enfant ! »

Elle lui conta la maladie du petit Eugène et toutes les angoisses de cette journée.

— « Merci ! merci ! Je ne doute plus ! je vous aime comme toujours ! »

— « Eh non ! ce n’est pas vrai ! »

— « Pourquoi ? »