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Ils étaient au milieu du jardin quand l’employé d’Arnoux, retenant son haleine, contourna son visage dans une grimace abominable et se mit à faire le coq. Alors tous les coqs qu’il y avait aux environs lui répondirent par des cocoricos prolongés.

— « C’est un signal », dit Hussonnet.

Ils s’arrêtèrent près du théâtre Bobino, devant une maison où l’on pénétrait par une allée. Dans la lucarne d’un grenier, entre des capucines et des pois de senteur, une jeune femme se montra, nu-tête, en corset, et appuyant ses deux bras contre le bord de la gouttière.

— « Bonjour, mon ange, bonjour, bibiche », fit Hussonnet, en lui envoyant des baisers.

Il ouvrit la barrière d’un coup de pied, et disparut.

Frédéric l’attendit toute la semaine. Il n’osait aller chez lui, pour n’avoir point l’air impatient de se faire rendre à déjeuner ; mais il le chercha par tout le quartier latin. Il le rencontra un soir, et l’emmena dans sa chambre sur le quai Napoléon.

La causerie fut longue ; ils s’épanchèrent. Hussonnet ambitionnait la gloire et les profits du théâtre. Il collaborait à des vaudevilles non reçus, « avait des masses de plans », tournait le couplet ; il en chanta quelques-uns. Puis, remarquant dans l’étagère un volume de Hugo et un autre de Lamartine, il se répandit en sarcasmes sur l’école romantique. Ces poètes-là n’avaient ni bon sens ni correction, et n’étaient pas Français, surtout ! Il se vantait de savoir sa langue et épluchait les phrases les plus belles avec cette sévérité hargneuse, ce goût académique qui distinguent les personnes d’humeur folâtre quand elles abordent l’art sérieux.

Frédéric fut blessé dans ses prédilections ; il avait envie de rompre. Pourquoi ne pas hasarder, tout de suite, le mot d’où son bonheur dépendait ? Il demanda au garçon de lettres s’il pouvait le présenter chez Arnoux.