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taines où il y avait des morceaux de glace ; et de grands domestiques en culotte courte servaient. Tout cela semblait meilleur après l’émotion des jours passés. On rentrait dans la jouissance des choses que l’on avait eu peur de perdre ; et Nonancourt exprima le sentiment général en disant :

— « Ah ! espérons que MM. les républicains vont nous permettre de dîner ! »

— « Malgré leur fraternité ! » ajouta spirituellement le père Roque.

Ces deux honorables étaient à la droite et à la gauche de Mme Dambreuse ayant devant elle son mari, entre Mme de Larsillois flanquée du diplomate et la vieille duchesse, que Fumichon coudoyait. Puis venaient le peintre, le marchand de faïences, Mlle Louise ; et grâce à Martinon qui lui avait enlevé sa place pour se mettre auprès de Cécile’, Frédéric se trouvait à côté de Mme Arnoux.

Elle portait une robe de barège noir, un cercle d’or au poignet, et comme le premier jour où il avait dîné chez elle, quelque chose de rouge dans les cheveux, une branche de fuchsia entortillée à son chignon. Il ne put s’empêcher de lui dire :

— « Voilà longtemps que nous ne nous sommes vus ! »

— « Ah ! » répliqua-t-elle froidement.

Il reprit, avec une douceur dans la voix qui atténuait l’impertinence de sa question :

— « Avez-vous quelquefois pensé à moi ? »

— « Pourquoi y penserais-je ? »

Frédéric fut blessé par ce mot.

— « Vous avez peut-être raison, après tout. »

Mais, se repentant vite, il jura qu’il n’avait pas vécu un seul jour sans être ravagé par son souvenir.

— « Je n’en crois absolument rien, monsieur. »

— « Cependant, vous savez que je vous aime ! »

Mme Arnoux ne répondit pas.