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lui arrachant le drapeau. On l’avait retrouvé sous les décombres, la cuisse percée d’un lingot de cuivre. Il avait fallu débrider la plaie, extraire le projectile. Mlle Vatnaz était arrivée le soir même, et, depuis ce temps-là, ne le quittait plus.

Elle préparait avec intelligence tout ce qu’il fallait pour les pansements, l’aidait à boire, épiait ses moindres désirs, allait et venait plus légère qu’une mouche, et le contemplait avec des yeux tendres.

Frédéric, pendant deux semaines, ne manqua pas de revenir tous les matins ; un jour qu’il parlait du dévouement de la Vatnaz, Dussardier haussa les épaules.

— « Eh non ! c’est par intérêt »

— « Tu crois ? »

Il reprit : « J’en suis sûr ! » sans vouloir s’expliquer davantage.

Elle le comblait de prévenances, jusqu’à lui apporter les journaux où l’on exaltait sa belle action. Ces hommages paraissaient l’importuner. Il avoua même à Frédéric l’embarras de sa conscience.

Peut-être qu’il aurait dû se mettre de l’autre bord, avec les blouses ; car enfin on leur avait promis un tas de choses qu’on n’avait pas tenues. Leurs vainqueurs détestaient la République ; et puis, on s’était montré bien dur pour eux ! Ils avaient tort, sans doute, pas tout à fait, cependant ; et le brave garçon était torturé par cette idée qu’il pouvait avoir combattu la justice.

Sénécal, enfermé aux Tuileries sous la terrasse du bord de l’eau, n’avait rien de ces angoisses.

Ils étaient là, neuf cents hommes, entassés dans l’ordure, pêle-mêle, noirs de poudre et de sang caillé, grelottant la fièvre, criant de rage, et on ne retirait pas ceux qui venaient à mourir parmi les autres. Quelquefois, au bruit soudain d’une détonation, ils croyaient qu’on allait tous les fusiller ; alors, ils se précipitaient contre les murs, puis retombaient à leur place, tellement