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et, tous les soirs, disait-il, faisait son examen de conscience, avant d’offrir son âme à Dieu.

— « Un peu de curaçao, hein ? »

— « Comme vous voudrez. »

Quant à la République, les choses s’arrangeraient ; enfin, il se trouvait l’homme le plus heureux de la terre ; et, s’oubliant, il vanta les qualités de Rosanette, la compara même à sa femme. C’était bien autre chose ! On n’imaginait pas d’aussi belles cuisses.

— « À votre santé ! »

Frédéric trinqua. Il avait, par complaisance, un peu trop bu ; d’ailleurs, le grand soleil l’éblouissait ; et, quand ils remontèrent ensemble la rue Vivienne, leurs épaulettes se touchaient fraternellement.

Rentré chez lui, Frédéric dormit jusqu’à sept heures. Ensuite, il s’en alla chez la Maréchale. Elle était sortie avec quelqu’un. Avec Arnoux, peut-être ? Ne sachant que faire, il continua sa promenade sur le boulevard, mais ne put dépasser la porte Saint-Martin, tant il y avait de monde.

La misère abandonnait à eux-mêmes un nombre considérable d’ouvriers ; et ils venaient là, tous les soirs, se passer en revue sans doute, et attendre un signal. Malgré la loi contre les attroupements, ces clubs du désespoir augmentaient d’une manière effrayante, et beaucoup de bourgeois s’y rendaient quotidiennement, par bravade, par mode.

Tout à coup, Frédéric aperçut, à trois pas de distance, M. Dambreuse avec Martinon ; il tourna la tête, car M. Dambreuse s’étant fait nommer représentant, il lui gardait rancune. Mais le capitaliste l’arrêta.

— « Un mot, cher monsieur ! J’ai des explications à vous fournir. »

— « Je n’en demande pas. »

— « De grâce ! écoutez-moi. »

Ce n’était nullement sa faute. On l’avait prié, contraint en quelque sorte. Martinon, tout de suite, ap-