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était si bon garçon, qu’il regretta la présence d’Hussonnet. Mais il avait besoin de fermer l’œil une minute, pas davantage.

— « Mettez-vous près de moi », dit-il à Frédéric, tout en s’allongeant sur le lit de camp, sans ôter ses buffleteries. Par peur d’une alerte, en dépit du règlement, il garda même son fusil ; puis balbutia quelques mots : « Ma chérie ! mon petit ange ! » et ne tarda pas à s’endormir.

Ceux qui parlaient se turent ; et peu à peu il se fit dans le poste un grand silence. Frédéric, tourmenté par les puces, regardait autour de lui. La muraille, peinte en jaune, avait à moitié de sa hauteur une longue planche où les sacs formaient une suite de petites bosses, tandis qu’au-dessous, les fusils couleur de plomb étaient dressés les uns près des autres —, et il s’élevait des ronflements, produits par les gardes nationaux, dont les ventres se dessinaient d’une manière confuse, dans l’ombre. Une bouteille vide et des assiettes couvraient le poêle. Trois chaises de paille entouraient la table, où s’étalait un jeu de cartes. Un tambour, au milieu du banc, laissait pendre sa bricole. Le vent chaud arrivant par la porte, faisait fumer le quinquet. Arnoux dormait les deux bras ouverts ; et comme son fusil était posé la crosse en bas un peu obliquement, la gueule du canon lui arrivait sous l’aisselle. Frédéric le remarqua et fut effrayé.

— « Mais non ! j’ai tort ! il n’y a rien à craindre ! S’il mourait cependant… »

Et, tout de suite, des tableaux à n’en plus finir se déroulèrent. Il s’aperçut avec elle, la nuit, dans une chaise de poste ; puis au bord d’un fleuve par un soir d’été, et sous le reflet d’une lampe, chez eux, dans leur maison. Il s’arrêtait même à des calculs de ménage, des dispositions domestiques, contemplant, palpant déjà son bonheur ; — et, pour le réaliser, il aurait fallu seulement que le chien du fusil se levât ! On pouvait le