Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/380

Cette page n’a pas encore été corrigée

révolution, d’être cause qu’on était ruiné, que les gens riches abandonnaient Paris, et qu’elle mourrait plus tard à l’hôpital.

— « Tu en parles à ton aise, toi, avec tes rentes ! Du reste, au train dont ça va, tu ne les auras pas longtemps, tes rentes. »

— « Cela se peut », dit Frédéric, « les plus dévoués sont toujours méconnus ; et, si l’on n’avait pour soi sa conscience, les brutes avec qui l’on se compromet vous dégoûteraient de l’abnégation ! »

Rosanette le regarda, les cils rapprochés.

— « Hein ? Quoi ? Quelle abnégation ? Monsieur n’a pas réussi, à ce qu’il paraît ? Tant mieux ! ça t’apprendra à faire des dons patriotiques. Oh ! ne mens pas ! Je sais que tu leur as donné trois cents francs, car elle se fait entretenir, ta République ! Eh bien, amuse-toi avec elle, mon bonhomme ! »

Sous cette avalanche de sottises, Frédéric passait de son autre désappointement à une déception plus lourde.

Il s’était retiré au fond de la chambre. Elle vint à lui.

— « Voyons ! raisonne un peu ! Dans un pays comme dans une maison, il faut un maître ; autrement, chacun fait danser l’anse du panier. D’abord, tout le monde sait que Ledru-Rollin est couvert de dettes ! Quant à Lamartine, comment veux-tu qu’un poète s’entende à la politique ? Ah ! tu as beau hocher la tête et te croire plus d’esprit que les autres, c’est pourtant vrai ! Mais tu ergotes toujours ; on ne peut pas placer un mot avec toi ! Voilà par exemple Fournier-Fontaine, des magasins de Saint-Roch : sais-tu de combien il manque ? De huit cent mille francs ! Et Gomer, l’emballeur d’en face, un autre républicain celui-là, il cassait les pincettes sur la tête de sa femme, et il a bu tant d’absinthe, qu’on va le mettre dans une maison de santé. C’est comme ça qu’ils sont tous, les républicains ! Une