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dans la garde nationale, jointes au recensement Humann, d’autres événements encore, amenaient depuis six mois, dans Paris, d’inexplicables attroupements ; et même ils se renouvelaient si souvent, que les journaux n’en parlaient plus.

— « Cela manque de galbe et de couleur », continua le voisin de Frédéric. « Ie cuyde, messire, que nous avons dégénéré ! À la bonne époque de Loys onzième, voire de Benjamin Constant, il y avait plus de mutinerie parmi les escholiers. Ie les treuve pacifiques comme moutons, bêtes comme cornichons, et idoines à estre épiciers, Pasque-Dieu ! Et voilà ce qu’on appelle la Jeunesse des écoles ! »

Il écarta les bras, largement, comme Frédéric Lemaître dans Robert Macaire.

— « Jeunesse des écoles, je te bénis ! »

Ensuite, apostrophant un chiffonnier, qui remuait des écailles d’huîtres contre la borne d’un marchand de vin :

— « En fais-tu partie, toi, de la Jeunesse des écoles ? »

Le vieillard releva une face hideuse où l’on distinguait, au milieu d’une barbe grise, un nez rouge, et deux yeux avinés stupides.

— « Non ! tu me parais plutôt un de ces hommes à figure patibulaire que l’on voit, dans divers groupes, semant l’or à pleines mains… Oh ! sème, mon patriarche, sème ! Corromps-moi avec les trésors d’Albion ! Are you English ? Je ne repousse pas les présents d’Artaxerxès Causons un peu de l’union douanière. »

Frédéric sentit quelqu’un lui toucher à l’épaule ; il se retourna. C’était Martinon, prodigieusement pâle.

— « Eh bien ! » fit-il en poussant un gros soupir, « encore une émeute ! »

Il avait peur d’être compromis, se lamentait. Des hommes en blouse, surtout, l’inquiétaient, comme appartenant à des sociétés secrètes.

— « Est-ce qu’il y a des sociétés secrètes, » dit le