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— « Mardi ? »

— « Oui, entre deux et trois heures. »

— « J’y serai ! »

Et elle détourna son visage, par un mouvement de honte. Frédéric lui posa ses lèvres sur la nuque.

— « Oh ! ce n’est pas bien », dit-elle. « Vous me feriez repentir. »

Il s’écarta, redoutant la mobilité ordinaire des femmes. Puis, sur le seuil, murmura, doucement, comme une chose bien convenue

— « À mardi ! »

Elle baissa ses beaux yeux d’une façon discrète et résignée.

Frédéric avait un plan.

Il espérait que, grâce à la pluie ou au soleil, il pourrait la faire s’arrêter sous une porte, et qu’une fois sous la porte, elle entrerait dans la maison. Le difficile était d’en découvrir une convenable.

Il se mit donc en recherche, et, vers le milieu de la rue Tronchet, il lut de loin, sur une enseigne : Appartements meublés.

Le garçon, comprenant son intention, lui montra tout de suite, à l’entresol, une chambre et un cabinet avec deux sorties. Frédéric la retint pour un mois et paya d’avance.

Puis il alla dans trois magasins acheter la parfumerie la plus rare ; il se procura un morceau de fausse guipure pour remplacer l’affreux couvre-pieds de coton rouge, il choisit une paire de pantoufles en satin bleu ; la crainte seule de paraître grossier le modéra dans ses emplettes ; il revint avec elles et plus dévotement que ceux qui font des reposoirs, il changea les meubles de place, drapa lui-même les rideaux, mit des bruyères sur la cheminée, des violettes sur la commode ; il aurait voulu paver la chambre tout en or. « C’est demain », se disait-il, « oui demain ! je ne rêve pas. » Et il sentait battre son cœur à grands coups