Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/330

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle ne répondit rien. Mais cette complicité silencieuse enflamma son visage de toutes les rougeurs de l’adultère.

Le lendemain, il retourna chez elle, on le reçut ; et, afin de poursuivre ses avantages, immédiatement, sans préambule, Frédéric commença par se justifier de la rencontre au Champ de Mars. Le hasard seul l’avait fait se trouver avec cette femme. En admettant qu’elle fût jolie (ce qui n’était pas vrai), comment pourrait-elle arrêter sa pensée, même une minute, puisqu’il en aimait une autre !

— « Vous le savez bien, je vous l’ai dit. »

Mme Arnoux baissa la tête.

— « Je suis fâchée que vous me l’ayez dit. »

— « Pourquoi ? »

— « Les convenances les plus simples exigent maintenant que je ne vous revoie plus ! »

Il protesta de l’innocence de son amour. Le passé devait lui répondre de l’avenir ; il s’était promis à lui-même de ne pas troubler son existence, de ne pas l’étourdir de ses plaintes.

— « Mais, hier, mon cœur débordait. »

— « Nous ne devons plus songer à ce moment-là, mon ami ! »

Cependant, où serait le mal quand deux pauvres êtres confondraient leur tristesse ?

— « Car vous n’êtes pas heureuse non plus ! Oh ! je vous connais, vous n’avez personne qui réponde à vos besoins d’affection, de dévouement ; je ferai tout ce que vous voudrez ! Je ne vous offenserai pas !… je vous le jure. »

Et il se laissa tomber sur les genoux, malgré lui, s’affaissant sous un poids intérieur trop lourd.

— « Levez-vous ! » dit-elle, « je le veux ! »

Et elle lui déclara impérieusement que, s’il n’obéissait pas, il ne la reverrait jamais.

— « Ah ! je vous en défie bien ! » reprit Frédéric.