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J’ai deux grands bœufs dans mon étable,
Deux grands bœufs blancs…

Sénécal lui mit la main sur la bouche, il n’aimait pas le désordre ; et les locataires apparaissaient à leurs carreaux, surpris du tapage insolite qui se faisait dans le logement de Dussardier.

Le brave garçon était heureux, et dit que ça lui rappelait leurs petites séances d’autrefois, au quai Napoléon ; plusieurs manquaient cependant, « ainsi Pellerin… »

— « On peut s’en passer », reprit Frédéric.

Et Deslauriers s’informa de Martinon.

— « Que devient-il, cet intéressant Monsieur ? » Aussitôt Frédéric, épanchant le mauvais vouloir qu’il lui portait, attaqua son esprit, son caractère, sa fausse élégance, l’homme tout entier. C’était bien un spécimen de paysan parvenu ! L’aristocratie nouvelle, la bourgeoisie, ne valait pas l’ancienne, la noblesse. Il soutenait cela ; et les démocrates approuvaient, — comme s’il avait fait partie de l’une et qu’ils eussent fréquenté l’autre. On fut enchanté de lui. Le pharmacien le compara même à M. d’Alton-Shée qui, bien que pair de France, défendait la cause du Peuple.

L’heure de s’en aller était venue. Tous se séparèrent avec de grandes poignées de main ; Dussardier, par tendresse, reconduisit Frédéric et Deslauriers. Dès qu’ils furent dans la rue, l’avocat eut l’air de réfléchir, et, après un moment de silence :

— « Tu lui en veux donc beaucoup, à Pellerin ? » Frédéric ne cacha pas sa rancune.

Le peintre, cependant, avait retiré de la montre le fameux tableau. On ne devait pas se brouiller pour des vétilles ! À quoi bon se faire un ennemi ?

— « Il a cédé à un mouvement d’humeur, excusable dans un homme qui n’a pas le sou. Tu ne peux pas comprendre ça, toi ! »