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Je n’ose pas. »

Ils étaient arrivés au bout du jardin, sur la grève du Livon. Frédéric, par gaminerie, se mit à faire des ricochets avec un caillou. Elle lui ordonna de s’asseoir. Il obéit ; puis, en regardant la chute d’eau :

— « C’est comme le Niagara ! »

Il vint à parier des contrées lointaines et de grands voyages. L’idée d’en faire la charmait. Elle n’aurait eu peur de rien, ni des tempêtes, ni des lions.

Assis, l’un près de l’autre, ils ramassaient devant eux des poignées de sable, puis les faisaient couler de leurs mains tout en causant ; — et le vent chaud qui arrivait des plaines leur apportait par bouffées des senteurs de lavande, avec le parfum du goudron s’échappant d’une barque, derrière l’écluse. Le soleil frappait la cascade ; les blocs verdâtres du petit mur où l’eau coulait apparaissaient comme sous une gaze d’argent se déroulant toujours. Une longue barre d’écume rejaillissait au pied, en cadence. Cela formait ensuite des bouillonnements, des tourbillons, mille courants opposés, et qui finissaient par se confondre en une seule nappe limpide.

Louise murmura qu’elle enviait l’existence des poissons.

— « Ça doit être si doux de se rouler là-dedans, à son aise, de se sentir caressé partout. »

Et elle frémissait, avec des mouvements d’une câlinerie sensuelle.

Mais une voix cria :

— « Où es-tu ? »

— « Votre bonne vous appelle », dit Frédéric.

— « Bien ! bien ! »

Louise ne se dérangeait pas.

— « Elle va se fâcher », reprit-il.

— « Cela m’est égal ! et d’ailleurs… », Mlle Roque faisant comprendre, par un geste, qu’elle la tenait à sa discrétion.