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— « Moi, je l’ai rencontré avant-hier, il serait même venu aujourd’hui. Mais il a toutes sortes d’embarras, encore un procès, je ne sais quoi. Quel drôle d’homme ! »

— « Oui ! très drôle ! »

Frédéric ajouta d’un air indifférent :

— « À propos, voyez-vous toujours… comment donc l’appelez-vous ?… cet ancien chanteur…. Delmar ? »

Elle répliqua sèchement :

— « Non ! c’est fini. »

Ainsi, leur rupture était certaine. Frédéric en conçut de l’espoir.

Ils descendirent au pas le quartier Bréda ; les rues, à cause du dimanche, étaient désertes, et des figures de bourgeois apparaissaient derrière des fenêtres. La voiture prit un train plus rapide ; le bruit des roues faisait se retourner les passants, le cuir de la capote rabattue brillait, le domestique se cambrait la taille, et les deux havanais l’un près de l’autre semblaient deux manchons d’hermine, posés sur les coussins. Frédéric se laissait aller au bercement des soupentes. La Maréchale tournait la tête, à droite et à gauche, en souriant.

Son chapeau de paille nacrée avait une garniture de dentelle noire. Le capuchon de son burnous flottait au vent ; et elle s’abritait du soleil, sous une ombrelle de satin lilas, pointue par le haut comme une pagode.

— « Quels amours de petits doigts ! » dit Frédéric, en lui prenant doucement l’autre main, la gauche ornée d’un bracelet d’or, en forme de gourmette. « Tiens, c’est mignon ; d’où cela vient-il ? »

— « Oh ! il y a longtemps que je l’ai », dit la Maréchale.

Le jeune homme n’objecta rien à cette réponse hypocrite. Il aima mieux « profiter de la circonstance ». Et, lui tenant toujours le poignet, il appuya dessus ses lèvres, entre le gant et la manchette.