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— Oh ! rien ne vous presse encore ! »

Elle resta debout, examinant le trophée de flèches mongoles suspendu au plafond, la bibliothèque, les reliures, tous les ustensiles pour écrire ; elle souleva la cuvette de bronze qui contenait les plumes ; ses talons se posèrent à des places différentes sur le tapis. Elle était venue plusieurs fois chez Frédéric, mais toujours avec Arnoux.

Ils se trouvaient seuls, maintenant, — seuls, dans sa propre maison ; — c’était un événement extraordinaire, presque une bonne fortune.

Elle voulut voir son jardinet ; il lui offrit le bras pour lui montrer ses domaines, trente pieds de terrain, enclos par des maisons, ornés d’arbustes dans les angles et d’une plate-bande au milieu.

On était aux premiers jours d’avril. Les feuilles des lilas verdoyaient déjà, un souffle pur se roulait dans l’air, et de petits oiseaux pépiaient, alternant leur chanson avec le bruit lointain que faisait la forge d’un carrossier.

Frédéric alla chercher une pelle à feu ; et, tandis qu’ils se promenaient côte à côte, l’enfant élevait des tas de sable dans l’allée.

Mme Arnoux ne croyait pas qu’il eût plus tard une grande imagination, mais il était d’humeur caressante. Sa sœur, au contraire, avait une sécheresse naturelle qui la blessait quelquefois.

— « Cela changera », dit Frédéric. « Il ne faut jamais désespérer. »

Elle répliqua :

— « Il ne faut jamais désespérer. »

Cette répétition machinale de sa phrase lui parut une sorte d’encouragement ; il cueillit une rose, la seule du jardin.

— « Vous rappelez-vous… un certain bouquet de roses, un soir, en voiture ? »

Elle rougit quelque peu ; et, avec un air de compassion railleuse :