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Partout, une valetaille à larges galons d’or circulait. Les grandes torchères, comme des bouquets de feu, s’épanouissaient sur les tentures ; elles se répétaient dans les glaces ; et, au fond de la salle à manger, que tapissait un treillage de jasmin, le buffet ressemblait à un maître-autel de cathédrale ou à une exposition d’orfèvrerie, — tant il y avait de plats, de cloches, de couverts et de cuillers en argent et en vermeil, au milieu des cristaux à facettes qui entrecroisaient, par-dessus les viandes, des lueurs irisées. Les trois autres salons regorgeaient d’objets d’art : paysages de maîtres contre les murs, ivoires et porcelaines au bord des tables, chinoiseries sur les consoles ; des paravents de laque se développaient devant les fenêtres, des touffes de camélias montaient dans les cheminées ; et une musique légère vibrait, au loin, comme un bourdonnement d’abeilles.

Les quadrilles n’étaient pas nombreux, et les danseurs, à la manière nonchalante dont ils traînaient leurs escarpins, semblaient s’acquitter d’un devoir. Frédéric entendait des phrases comme celles-ci :

— « Avez-vous été à la dernière fête de charité de l’hôtel Lambert, Mademoiselle ? »

— « Non, Monsieur ! »

— « Il va faire, tout à l’heure, une chaleur ! »

— « Oh ! c’est vrai, étouffante »

— « De qui donc cette polka ? »

— « Mon Dieu ! je ne sais pas, Madame ! »

Et, derrière lui, trois roquentins, postés dans une embrasure, chuchotaient des remarques obscènes ; d’autres causaient chemins de fer, libre-échange un sportman contait une histoire de chasse ; un légitimiste et un orléaniste. Il discutaient.

En errant de groupe en groupe, il arriva dans le salon des joueurs, où, dans un cercle de gens graves, il reconnut Martinon, « attaché maintenant au parquet de la Capitale ».