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MM. les étrangers tous les renseignements désirables, artistiques, et autres. » Mais l’imprimeur faisait des menaces, on devait trois termes au propriétaire, toutes sortes d’embarras surgissaient ; et Hussonnet aurait laissé périr l’Art, sans les exhortations de l’avocat, qui lui chauffait le moral quotidiennement. Il l’avait pris, afin de donner plus de poids à sa démarche.

— « Nous venons pour le Journal », dit-il.

— « Tiens, tu y penses encore ! » répondit Frédéric, d’un ton distrait.

— « Certainement ! j’y pense ! »

Et il exposa de nouveau son plan. Par des comptes rendus de la Bourse, ils se mettraient en relations avec des financiers, et obtiendraient ainsi les cent mille francs de cautionnement indispensables. Mais, pour que la feuille pût être transformée en journal politique, il fallait auparavant avoir une large clientèle, et, pour cela, se résoudre à quelques dépenses, tant pour les frais de papeterie, d’imprimerie, de bureau, bref une somme de quinze mille francs.

— « Je n’ai pas de fonds », dit Frédéric.

— « Et nous donc ! » fit Deslauriers en croisant ses deux bras.

Frédéric, blessé du geste, répliqua :

— « Est-ce ma faute ?… »

— « Ah ! très bien ! Ils ont du bois dans leur cheminée, des truffes sur leur table, un bon lit, une bibliothèque, une voiture, toutes les douceurs ! Mais qu’un autre grelotte sous les ardoises, dîne à vingt sous, travaille comme un forçat et patauge dans la misère ! est-ce leur faute ? »

Et il répétait « Est-ce leur faute ? » avec une ironie cicéronienne qui sentait le Palais. Frédéric voulait parler.

— « Du reste je comprends, on a des besoins… aristocratiques ; car sans doute… quelque femme… »

— «