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Des jeunes femmes, avec leurs enfants, mangeaient debout contre le buffet de marbre, où se pressaient, sous des cloches de verre, les assiettes de petits gâteaux. Rosanette avala deux tartes à la crème. Le sucre en poudre faisait des moustaches au coin de sa bouche. De temps à autre, pour l’essuyer, elle tirait son mouchoir de son manchon ; et sa figure ressemblait, sous sa capote de soie verte, à une rose épanouie entre ses feuilles.

Ils se remirent en marche ; dans la rue de la Paix, elle s’arrêta, devant la boutique d’un orfèvre, à considérer un bracelet ; Frédéric voulut lui en faire cadeau.

— « Non », dit-elle, « garde ton argent. »

Il fut blessé de cette parole.

— « Qu’a donc le mimi ? On est triste ? » Et, la conversation s’étant renouée, il en vint, comme d’habitude, à des protestations d’amour.

— « Tu sais bien que c’est impossible ! »

— « Pourquoi ? »

— « Ah ! parce que… »

Ils allaient côte à côte, elle appuyée sur son bras, et les volants de sa robe lui battaient contre les jambes. Alors, il se rappela un crépuscule d’hiver, où, sur le même trottoir, Mme Arnoux marchait ainsi à son côté ; et ce souvenir l’absorba tellement, qu’il ne s’apercevait plus de Rosanette et n’y songeait pas.

Elle regardait, au hasard, devant elle, tout en se laissant un peu traîner, comme un enfant paresseux. C’était l’heure où l’on rentrait de la promenade, et des équipages défilaient au grand trot sur le pavé sec. Les flatteries de Pellerin lui revenant sans doute à la mémoire, elle poussa un soupir.

— « Ah ! il y en a qui sont heureuses ! Je suis faite pour un homme riche, décidément. »

Il répliqua d’un ton brutal :

— « Vous en avez un, cependant ! » car M. Oudry passait pour trois fois millionnaire.