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l’avertir des absences du mari, porter des lettres, l’aider dans mille occasions qui se présenteraient. D’homme à homme, on se rend toujours ces services-là. D’ailleurs, il trouverait moyen de l’employer sans qu’il s’en doutât. Le hasard lui offrait un auxiliaire, c’était de bon augure, il fallait le saisir ; et, affectant de l’indifférence, il répondit que la chose peut-être était faisable et qu’il s’en occuperait.

Il s’en occupa tout de suite. Arnoux se donnait beaucoup de peine dans sa fabrique. Il cherchait le rouge de cuivre des Chinois mais ses couleurs se volatilisaient par la cuisson. Afin d’éviter les gerçures de ses faïences, il mêlait de la chaux à son argile ; mais les pièces se brisaient pour la plupart, l’émail de ses peintures sur cru bouillonnait, ses grandes plaques gondolaient ; et, attribuant ces mécomptes au mauvais outillage de sa fabrique, il voulait se faire faire d’autres moulins à broyer, d’autres séchoirs. Frédéric se rappela quelques-unes de ces choses ; et il l’aborda en annonçant qu’il avait découvert un homme très fort, capable de trouver son fameux rouge. Arnoux en fit un bond, puis, l’ayant écouté, répondit qu’il n’avait besoin de personne.

Frédéric exalta les connaissances prodigieuses de Sénécal, tout à la fois ingénieur, chimiste et comptable, étant un mathématicien de première force.

Le faïencier consentit à le voir.

Tous deux se chamaillèrent sur les émoluments. Frédéric s’interposa et parvint, au bout de la semaine, à leur faire conclure un arrangement.

Mais, l’usine étant située à Creil, Sénécal ne pouvait en rien l’aider. Cette réflexion, très simple, abattit son courage comme une mésaventure.

Il songea que plus Arnoux serait détaché de sa femme, plus il aurait de chance auprès d’elle. Alors, il se mit à faire l’apologie de Rosanette, continuellement ; il lui représenta tous ses torts à son endroit,