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poussa la porte. Frédéric n’entendit rien, ne vit rien ; Rosanette s’était précipitée dans la chambre, à sa rencontre.

Quand elle reparut, elle avait les pommettes rouges et elle s’assit dans un des fauteuils, sans parler. Une larme tomba sur sa joue ; puis se tournant vers le jeune homme, doucement :

— « Quel est votre petit nom ? »

— « Frédéric. »

— « Ah ! Federico ! Ça ne vous gêne pas que je vous appelle comme ça ? »

Et elle le regardait d’une façon câline, presque amoureuse. Tout à coup, elle poussa un cri de joie à la vue de Mlle Vatnaz.

La femme artiste n’avait pas de temps à perdre, devant, à six heures juste, présider sa table d’hôte ; et elle haletait, n’en pouvant plus. D’abord, elle retira de son cabas une chaîne de montre avec un papier, puis différents objets, des acquisitions.

— « Tu sauras qu’il y a, rue Joubert, des gants de Suède à trente-six sous magnifiques ! Ton teinturier demande encore huit jours. Pour la guipure, j’ai dit qu’on repasserait. Bugneaux a reçu l’acompte. Voilà tout, il me semble ? C’est cent quatre-vingt-cinq francs que tu me dois ! »

Rosanette alla prendre dans un tiroir dix napoléons. Aucune des deux n’avait de monnaie, Frédéric en offrit.

— « Je vous les rendrai », dit la Vatnaz, en fourrant les quinze francs dans son sac. « Mais vous êtes un vilain. Je ne vous aime plus, vous ne m’avez pas fait danser une seule fois, l’autre jour ! — Ah ! ma chère, j’ai découvert, quai Voltaire, à une boutique, un cadre d’oiseaux-mouches empaillés qui sont des amours. À ta place, je me les donnerais. Tiens ! Comment trouves-tu ? »

Et elle exhiba un vieux coupon de soie rose qu’elle avait acheté au Temple pour faire un pourpoint moyen âge à Delmar.