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ou trois fois, s’essuya les yeux. Frédéric avait le cœur serré.

Le repas fini, Catherine l’arrêta entre deux portes. Mademoiselle voulait, absolument, le voir. Elle l’attendait dans le jardin. Il sortit, enjamba la haie, et, tout en se cognant aux arbres quelque peu, se dirigea vers la maison de M. Roque. Des lumières brillaient à une fenêtre au second étage ; puis une forme apparut dans les ténèbres, et une voix chuchota :

— « C’est moi. »

Elle lui sembla plus grande qu’à l’ordinaire, à cause de sa robe noire, sans doute. Ne sachant par quelle phrase l’aborder, il se contenta de lui prendre les mains, en soupirant :

— « Ah ! ma pauvre Louise ! »

Elle ne répondit pas. Elle le regarda profondément, pendant longtemps. Frédéric avait peur de manquer la voiture ; il croyait entendre un roulement tout au loin, et, pour en finir :

— « Catherine m’a prévenu que tu avais quelque chose… »

— « Oui, c’est vrai ! je voulais vous dire… »

Ce vous l’étonna ; et, comme elle se taisait encore :

— « Eh bien, quoi ? »

— « Je ne sais plus. J’ai oublié ! Est-ce vrai que vous partez ? »

— « Oui, tout à l’heure. »

Elle répéta :

— « Ah ! tout à l’heure ?… tout à fait ?… nous ne nous reverrons plus ? »

Des sanglots l’étouffaient.

— « Adieu ! adieu ! embrasse-moi donc ! »

Et elle le serra dans ses bras avec emportement.