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dans la faillite d’un banquier, à Melun. Par horreur des hypothèques et pour conserver des apparences utiles à l’avenir de son fils, comme le père Roque se présentait de nouveau, elle l’avait écouté, encore une fois. Mais elle était quitte, maintenant. Bref, il leur restait environ dix mille francs de rente, dont deux mille trois cents à lui, tout son patrimoine !

— « Ce n’est pas possible ! » s’écria Frédéric.

Elle eut un mouvement de tête signifiant que cela était très possible.

Mais son oncle lui laisserait quelque chose ? Rien n’était moins sûr !

Et ils firent un tour de jardin, sans parler. Enfin elle l’attira contre son cœur, et, d’une voix que les larmes étouffaient :

— « Ah ! mon pauvre garçon ! Il m’a fallu abandonner bien des rêves ! »

Il s’assit sur le banc, à l’ombre du grand acacia.

Ce qu’elle lui conseillait, c’était de se mettre clerc chez M. Prouharam, avoué, lequel lui céderait son étude ; s’il la faisait bien valoir, il pourrait la revendre, et trouver un bon parti.

Frédéric n’entendait plus. Il regardait machinalement, par-dessus la haie, dans l’autre jardin, en face.

Une petite fille d’environ douze ans, et qui avait les cheveux rouges, se trouvait là, toute seule. Elle s’était fait des boucles d’oreilles avec des baies de sorbier ; son corset de toile grise laissait à découvert ses épaules, un peu dorées par le soleil ; des taches de confitures maculaient son jupon blanc ; — et il y avait comme une grâce de jeune bête sauvage dans toute sa personne, à la fois nerveuse et fluette. La présence d’un inconnu l’étonnait, sans doute, car elle s’était brusquement arrêtée, avec son arrosoir à la main, en dardant sur lui ses prunelles, d’un vert-bleu limpide.

— « C’est la fille de M. Roque », dit Mme Moreau. « Il vient d’épouser sa servante et de légitimer son enfant. »