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mourir sans émotion. Mais comment se fâcher ? Elle était d’une douceur désespérante.

Deslauriers reparut, et expliqua son séjour à Nogent en disant qu’il y marchandait une étude d’avoué. Frédéric fut heureux de le revoir ; c’était quelqu’un ! Il le mit en tiers dans la compagnie.

L’avocat dînait chez eux de temps à autre, et, quand il s’élevait de petites contestations, se déclarait toujours pour Rosanette, si bien qu’une fois Frédéric lui dit :

— Eh ! couche avec elle si ça t’amuse ! tant il souhaitait un hasard qui l’en débarrassât.

Vers le milieu du mois de juin, elle reçut un commandement où maître Athanase Gautherot, huissier, lui enjoignait de solder quatre mille francs dus à la demoiselle Clémence Vatnaz ; sinon, qu’il viendrait le lendemain la saisir.

En effet, des quatre billets autrefois souscrits, un seul était payé, l’argent qu’elle avait pu avoir depuis lors ayant passé à d’autres besoins.

Elle courut chez Arnoux. Il habitait le faubourg Saint-Germain, et le portier ignorait la rue. Elle se transporta chez plusieurs amis, ne trouva personne, et rentra désespérée. Elle ne voulait rien dire à Frédéric, tremblant que cette nouvelle histoire ne fît du tort à son mariage.

Le lendemain matin, Me  Athanase Gautherot se présenta, flanqué de deux acolytes, l’un blême, à figure chafouine, l’air dévoré d’envie, l’autre portant un faux-col et des sous-pieds très tendus, avec un délot de taffetas noir à l’index ; et tous deux, ignoblement sales, avaient des cols gras, des manches de redingote trop courtes.

Leur patron, un fort bel homme, au contraire,