Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/555

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Ah ! le misérable ! Moi qui l’ai soigné avec tant de dévouement !

Puis elle éclata en sanglots.

— Il est peut-être ailleurs ? dit Frédéric.

— Eh non ! Il était là ! dans ce coffre-fort. Je l’ai vu dernièrement. Il est brûlé ! j’en suis certaine !

Un jour, au commencement de sa maladie, M. Dambreuse était descendu pour donner des signatures.

— C’est alors qu’il aura fait le coup !

Et elle retomba sur une chaise, anéantie. Une mère en deuil n’est pas plus lamentable près d’un berceau vide que ne l’était Mme  Dambreuse devant les coffres-forts béants. Enfin, sa douleur, malgré la bassesse du motif, semblait tellement profonde, qu’il tâcha de la consoler, en lui disant qu’après tout, elle n’était pas réduite à la misère.

— C’est la misère, puisque je ne peux pas t’offrir une grande fortune !

Elle n’avait plus que trente mille livres de rente, sans compter l’hôtel qui en valait de dix-huit à vingt, peut-être.

Bien que ce fût de l’opulence pour Frédéric, il n’en ressentait pas moins une déception. Adieu ses rêves, et toute la grande vie qu’il aurait menée ! L’honneur le forçait à épouser Mme  Dambreuse. Il réfléchit une minute ; puis, d’un air tendre :

— J’aurai toujours ta personne !

Elle se jeta dans ses bras ; et il la serra contre sa poitrine, avec un attendrissement où il y avait un peu d’admiration pour lui-même. Mme  Dambreuse, dont les larmes ne coulaient plus, releva