Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/488

Cette page a été validée par deux contributeurs.

il avait été s’adjoindre à la garde nationale qui campait aux Tuileries ; et il fut très content d’être placé en sentinelle devant la terrasse du bord de l’eau. Au moins, là, il les avait sous lui, ces brigands ! Il jouissait de leur défaite, de leur abjection, et ne pouvait se retenir de les invectiver.

Un d’eux, un adolescent à longs cheveux blonds, mit sa face aux barreaux en demandant du pain. M. Roque lui ordonna de se taire. Mais le jeune homme répétait d’une voix lamentable :

— Du pain !

— Est-ce que j’en ai, moi !

D’autres prisonniers apparurent dans le soupirail, avec leurs barbes hérissées, leurs prunelles flamboyantes, tous se poussant et hurlant :

— Du pain !

Le père Roque fut indigné de voir son autorité méconnue. Pour leur faire peur, il les mit en joue ; et, porté jusqu’à la voûte par le flot qui l’étouffait, le jeune homme, la tête en arrière, cria encore une fois :

— Du pain !

— Tiens ! en voilà ! dit le père Roque, en lâchant son coup de fusil121.

Il y eut un énorme hurlement, puis, rien. Au bord du baquet, quelque chose de blanc était resté.

Après quoi, M. Roque s’en retourna chez lui ; car il possédait, rue Saint-Martin, une maison où il s’était réservé un pied-à-terre ; et les dommages causés par l’émeute à la devanture de son immeuble n’avaient pas contribué médiocrement à le rendre furieux. Il lui sembla, en la revoyant,