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religion lui inspirant des idées de funérailles ; il entendait comme des bourdonnements de De profundis.

— Allons-nous-en ! Je ne me sens pas bien !

Ils employèrent toute la nuit à jouer aux cartes. Le vicomte s’efforça de perdre, afin de conjurer la mauvaise chance, ce dont M. Vezou profita. Enfin, au petit jour, Cisy, qui n’en pouvait plus, s’affaissa sur le tapis vert, et eut un sommeil plein de songes désagréables.

Si le courage, pourtant, consiste à vouloir dominer sa faiblesse, le vicomte fut courageux, car, à la vue de ses témoins qui venaient le chercher, il se roidit de toutes ses forces, la vanité lui faisant comprendre qu’une reculade le perdrait. M. de Comaing le complimenta sur sa bonne mine.

Mais, en route, le bercement du fiacre et la chaleur du soleil matinal l’énervèrent. Son énergie était retombée. Il ne distinguait même plus où l’on était.

Le Baron se divertit à augmenter sa frayeur, en parlant du « cadavre », et de la manière de le rentrer en ville, clandestinement. Joseph donnait la réplique ; tous deux, jugeant l’affaire ridicule, étaient persuadés qu’elle s’arrangerait.

Cisy gardait sa tête sur sa poitrine ; il la releva doucement et fit observer qu’on n’avait pas pris de médecin.

— C’est inutile, dit le baron.

— Il n’y a pas de danger, alors ?

Joseph répliqua d’un ton grave :

— Espérons-le !

Et personne dans la voiture ne parla plus.

À sept heures dix minutes, on arriva devant la