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— Moi, de la peine ?

Et, debout devant lui, elle le regardait, les cils rapprochés et les deux mains sur les épaules.

Toute sa vertu, toute sa rancune sombra dans une lâcheté sans fond.

Il reprit :

— Puisque tu ne veux pas m’aimer ! en l’attirant sur ses genoux.

Elle se laissait faire ; il lui entourait la taille à deux bras ; le pétillement de sa robe de soie l’enflammait.

— Où sont-ils ? dit la voix d’Hussonnet dans le corridor.

La Maréchale se leva brusquement, et alla se mettre à l’autre bout du cabinet, tournant le dos à la porte.

Elle demanda des huîtres et ils s’attablèrent.

Hussonnet ne fut pas drôle. À force d’écrire quotidiennement sur toutes sortes de sujets, de lire beaucoup de journaux, d’entendre beaucoup de discussions et d’émettre des paradoxes pour éblouir, il avait fini par perdre la notion exacte des choses, s’aveuglant lui-même avec ses faibles pétards. Les embarras d’une vie légère autrefois, mais à présent difficile, l’entretenaient dans une agitation perpétuelle ; et son impuissance, qu’il ne voulait pas s’avouer, le rendait hargneux, sarcastique. À propos d’Ozaï, un ballet nouveau, il fit une sortie à fond contre la danse, et, à propos de la danse, contre l’Opéra ; puis, à propos de l’Opéra, contre les Italiens, remplacés, maintenant, par une troupe d’acteurs espagnols, « comme si l’on n’était pas rassasié des Castilles ! » Frédéric fut choqué dans son amour romantique de l’Es-