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L’estimation des objets dura quinze jours. Bouvard s’en mourait de fatigue. Il lâcha tout pour une somme tellement dérisoire, que Gouy, d’abord écarquilla les yeux, et s’écriant : « Convenu », lui frappa dans la main.

Après quoi, les propriétaires, suivant l’usage, offrirent de casser une croûte à la maison, et Pécuchet ouvrit une bouteille de son malaga, moins par générosité que dans l’espoir d’en obtenir des éloges.

Mais le laboureur dit en rechignant :

— C’est comme du sirop de réglisse.

Et sa femme, « pour se faire passer le goût », réclama un verre d’eau-de-vie.

Une chose plus grave les occupait ! Tous les éléments de la « Bouvarine » étaient enfin rassemblés.

Ils les entassèrent dans la cucurbite, avec de l’alcool ; allumèrent le feu et attendirent. Cependant Pécuchet, tourmenté par la mésaventure du malaga, prit dans l’armoire les boîtes de fer-blanc, fit sauter le couvercle de la première, puis de la seconde, de la troisième. Il les rejetait avec fureur et appela Bouvard.

Bouvard ferma le robinet du serpentin pour se précipiter vers les conserves. La désillusion fut complète. Les tranches de veau ressemblaient à des semelles bouillies. Un liquide fangeux remplaçait le homard. On ne reconnaissait plus la matelote. Des champignons avaient poussé sur le potage, et une intolérable odeur empestait le laboratoire.

Tout à coup, avec un bruit d’obus, l’alambic éclata en vingt morceaux qui bondirent jusqu’au plafond, crevant les marmites, aplatissant les