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couramment dans le Cuisinier français. Victorine étant coquette, une robe lui serait donnée, si, pour l’avoir, elle écrivait à la couturière. En moins de trois semaines elle accomplit ce prodige. C’était courtiser leurs défauts, moyen pernicieux, mais qui avait réussi.

Maintenant qu’ils savaient écrire et lire, que leur apprendre ? Autre embarras.

Les filles n’ont pas besoin d’être savantes comme les garçons. N’importe, on les élève ordinairement en véritables brutes, tout leur bagage intellectuel se bornant à des sottises mystiques.

Convient-il de leur enseigner les langues ? « L’espagnol et l’italien, prétend le Cygne de Cambray, ne servent guère qu’à lire des ouvrages dangereux. » Un tel motif leur parut bête. Cependant Victorine n’aurait que faire de ces idiomes, tandis que l’anglais est d’un usage plus commun. Pécuchet en étudia les règles ; il démontrait, avec sérieux, la façon d’émettre le th.

— Tiens, comme cela, the, the, the ?

Mais avant d’instruire un enfant, il faudrait connaître ses aptitudes. On les devine par la phrénologie. Ils s’y plongèrent ; puis voulurent en vérifier les assertions sur leurs personnes. Bouvard présentait la bosse de la bienveillance, de l’imagination, de la vénération et celle de l’énergie amoureuse : vulgo érotisme.

On sentait sur les temporaux de Pécuchet la philosophie et l’enthousiasme joints à l’esprit de ruse.

Effectivement, tels étaient leurs caractères. Ce qui les surprit davantage, ce fut de reconnaître chez l’un comme l’autre le penchant à l’amitié,