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Gorju prit un air naïf.

— Une brouille ? Tiens ! tiens !

Et s’ils avaient pu voir sa mine, quand ils eurent tourné les talons, ils auraient compris qu’il en flairait la cause.

Un peu plus loin, ils s’arrêtèrent devant un enclos de treillage, qui contenait des loges à chien, et une maisonnette en tuiles rouges.

Victorine était sur le seuil. Des aboiements retentirent. La femme du garde parut.

Sachant pourquoi le maire venait, elle héla Victor.

Tout d’avance était prêt, et leur trousseau dans deux mouchoirs que fermaient des épingles.

— Bon voyage, leur dit-elle, trop heureuse de n’avoir plus cette vermine !

Était-ce leur faute, s’ils étaient nés d’un père forçat ? Au contraire, ils semblaient très doux, ne s’inquiétaient même pas de l’endroit où on les menait.

Bouvard et Pécuchet les regardaient marcher devant eux.

Victorine chantonnait des paroles indistinctes, son foulard au bras, comme une modiste qui porte un carton. Elle se retournait quelquefois, et Pécuchet, devant ses frisettes blondes et sa gentille tournure, regrettait de n’avoir pas une enfant pareille. Élevée en d’autres conditions, elle serait charmante plus tard : Quel bonheur que de la voir grandir, d’entendre tous les jours son ramage d’oiseau, quand il le voudrait de l’embrasser ; et un attendrissement, lui montant du cœur aux lèvres, humecta ses paupières, l’oppressait un peu.