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Bouvard l’assura qu’il s’humiliait devant le Créateur, mais était indigné qu’on en fît un homme. On redoute sa vengeance, on travaille pour sa gloire, il a toutes les vertus, un bras, un œil, une politique, une habitation. Notre Père, qui êtes aux cieux, qu’est-ce que cela veut dire ?

Et Pécuchet ajouta :

— Le monde s’est élargi, la Terre n’en fait plus le centre. Elle roule dans la multitude infinie de ses pareils. Beaucoup la dépassent en grandeur, et ce rapetissement de notre globe prouve de Dieu un idéal plus sublime.

Donc, la religion devait changer. Le paradis est quelque chose d’enfantin avec ses bienheureux toujours contemplant, toujours chantant et qui regardent d’en haut les tortures des damnés. Quand on songe que le christianisme a pour base une pomme !

Le curé se fâcha.

— Niez la révélation, ce sera plus simple.

— Comment voulez-vous que Dieu ait parlé ? dit Bouvard.

— Prouvez qu’il n’a pas parlé ! disait Jeufroy.

— Encore une fois, qui vous l’affirme ?

— L’Église !

— Beau témoignage !

Cette discussion ennuyait M. de Mahurot, et tout en marchant :

— Écoutez donc le curé, il en sait plus que vous !

Bouvard et Pécuchet se firent des signes pour prendre un autre chemin, puis à la Croix-Verte :

— Bien le bonsoir !

— Serviteur ! dit le baron.