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une bouchée à ses lèvres. Tout à coup ses mains tremblèrent, sa grosse mine pâlit, sa tête se renversait.

— Tu te trouves mal ?

— Non ! Mais !

Et il fit un aveu. Par suite de son éducation (c’était plus fort que lui), il ne pouvait manger du gras ce jour-là, dans la crainte de mourir.

Pécuchet, sans abuser de sa victoire, en profita pour vivre à sa guise.

Un soir, il rentra la figure empreinte d’une joie sérieuse, et, lâchant le mot, dit qu’il venait de se confesser.

Alors ils discutèrent l’importance de la confession.

Bouvard admettait celle des premiers chrétiens qui se faisait en public : la moderne est trop facile. Cependant il ne niait pas que cette enquête sur nous-mêmes ne fût un élément de progrès, un levain de moralité.

Pécuchet, désireux de la perfection, chercha ses vices ; les bouffées d’orgueil depuis longtemps étaient parties. Son goût du travail l’exemptait de la paresse ; quant à la gourmandise, personne de plus sobre. Quelquefois des colères l’emportaient.

Il se jura de n’en plus avoir.

Ensuite, il faudrait acquérir les vertus, premièrement l’humilité ; c’est-à-dire se croire incapable de tout mérite, indigne de la moindre récompense, immoler son esprit, et se mettre tellement bas que l’on vous foule aux pieds comme la boue des chemins. Il était loin encore de ces dispositions.

Une autre vertu lui manquait : la chasteté. Car, intérieurement, il regrettait Mélie, et le pastel de