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être immoraux ; des calomnies furent inventées.

Alors une faculté pitoyable se développa dans leur esprit, celle de voir la bêtise et de ne plus la tolérer.

Des choses insignifiantes les attristaient : les réclames des journaux, le profil d’un bourgeois, une sotte réflexion entendue par hasard.

En songeant à ce qu’on disait dans leur village, et qu’il y avait jusqu’aux antipodes d’autres Coulon, d’autres Marescot, d’autres Foureau, ils sentaient peser sur eux comme la lourdeur de toute la Terre.

Ils ne sortaient plus, ne recevaient personne.

Un après-midi, un dialogue s’éleva dans la cour, entre Marcel et un monsieur ayant un chapeau à larges bords avec des conserves noires. C’était l’académicien Larsoneur. Il ne fut pas sans observer un rideau entr’ouvert, des portes qu’on fermait. Sa démarche était une tentative de raccommodement, et il s’en alla furieux, chargeant le domestique de dire à ses maîtres qu’il les regardait comme des goujats.

Bouvard et Pécuchet ne s’en soucièrent. Le monde diminuait d’importance ; ils l’apercevaient comme dans un nuage, descendu de leur cerveau sur leurs prunelles.

N’est-ce pas, d’ailleurs, une illusion, un mauvais rêve ? Peut-être qu’en somme les prospérités et les malheurs s’équilibrent ! Mais le bien de l’espèce ne console pas l’individu.

— Et que m’importent les autres ! disait Pécuchet.

Son désespoir affligeait Bouvard. C’était lui qui l’avait poussé jusque-là, et le délabrement de leur