Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/292

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Langlois les invita à honorer sa boutique de leur présence. Ils seraient plus à leur aise, et, malgré les chalands et le bruit de la sonnette, ces messieurs continuèrent à discuter les forfaits de Touache.

— Mon Dieu ! dit Bouvard, il avait de mauvais instincts, voilà tout !

— On en triomphe par la vertu, répliqua le notaire.

— Mais si on n’a pas de vertu ?

Et Bouvard nia positivement le libre arbitre.

— Cependant, dit le capitaine, je peux faire ce que je veux ! je suis libre, par exemple, de remuer la jambe.

— Non, monsieur, car vous avez un motif pour la remuer !

Le capitaine chercha une réponse, n’en trouva pas. Mais Girbal décocha ce trait :

— Un républicain qui parle contre la liberté ! c’est drôle !

— Histoire de rire ! dit Langlois.

Bouvard l’interpella :

— D’où vient que vous ne donnez pas votre fortune aux pauvres ?

L’épicier, d’un regard inquiet, parcourut toute sa boutique.

— Tiens ! pas si bête ! je la garde pour moi !

— Si vous étiez saint Vincent de Paul, vous agiriez différemment, puisque vous auriez son caractère. Vous obéissez au vôtre. Donc vous n’êtes pas libre !

— C’est une chicane, répondit en chœur l’assemblée.