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la jambe pour marcher, l’œil pour voir, bien qu’on ait des dyspepsies, des fractures et des cataractes. Pas d’arrangements sans but ! Les effets surviennent actuellement, ou plus tard. Tout dépend de lois. Donc, il y a des causes finales.

Bouvard imagina que Spinoza peut-être lui fournirait des arguments, et il écrivit à Dumouchel pour avoir la traduction de Saisset.

Dumouchel lui envoya un exemplaire, appartenant à son ami le professeur Varlot, exilé au 2 Décembre.

L’éthique les effraya avec ses axiomes, ses corollaires. Ils lurent seulement les endroits marqués d’un coup de crayon, et comprirent ceci :

« La substance est ce qui est de soi, par soi, sans cause, sans origine. Cette substance est Dieu.

« Il est seul l’étendue, et l’étendue n’a pas de bornes. Avec quoi la borner ?

« Mais, bien qu’elle soit infinie, elle n’est pas l’infini absolu, car elle ne contient qu’un genre de perfection, et l’absolu les contient tous. »

Souvent ils s’arrêtaient, pour mieux réfléchir. Pécuchet absorbait des prises de tabac et Bouvard était rouge d’attention.

— Est-ce que cela t’amuse ?

— Oui ! sans doute ! va toujours !

« Dieu se développe en une infinité d’attributs, qui expriment, chacun à sa manière, l’infinité de son être. Nous n’en connaissons que deux : l’étendue et la pensée.

« De la pensée et de l’étendue découlent des modes innombrables, lesquels en contiennent d’autres.

« Celui qui embrasserait, à la fois, toute l’étendue