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mêlent à nos divertissements, goûtent les beautés de la nature et les plaisirs des arts.

Cependant plusieurs d’entre nous possèdent une trompe aromale, c’est-à-dire derrière le crâne un long tuyau qui monte depuis les cheveux jusqu’aux planètes et nous permet de converser avec les esprits de Saturne ; les choses intangibles n’en sont pas moins réelles, et de la terre aux astres, des astres à la terre, c’est un va-et-vient, une transmission, un échange continu.

Alors le cœur de Pécuchet se gonfla d’aspirations désordonnées, et, quand la nuit était venue, Bouvard le surprenait à sa fenêtre contemplant ces espaces lumineux qui sont peuplés d’esprits.

Swedenborg y a fait de grands voyages. Car, en moins d’un an, il a exploré Vénus, Mars, Saturne et vingt-trois fois Jupiter. De plus, il a vu à Londres Jésus-Christ, il a vu saint Paul, il a vu saint Jean, il a vu Moïse, et, en 1736, il a même vu le jugement dernier.

Aussi nous donne-t-il des descriptions du ciel.

On y trouve des fleurs, des palais, des marchés et des églises, absolument comme chez nous.

Les anges, hommes autrefois, couchent leurs pensées sur des feuillets, devisent des choses du ménage ou bien de matières spirituelles, et les emplois ecclésiastiques appartiennent à ceux qui, dans leur vie terrestre, ont cultivé l’Écriture sainte.

Quant à l’enfer, il est plein d’une odeur nauséabonde, avec des cahutes, des tas d’immondices, des personnes mal habillées.

Et Pécuchet s’abîmait l’intellect pour comprendre ce qu’il y a de beau dans ces révélations.