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la fille du père Barbey, un ancien capitaine au long cours.

Elle sentait comme un clou à l’occiput, parlait d’une voix rauque, restait souvent plusieurs jours sans manger, puis dévorait du plâtre ou du charbon. Ses crises nerveuses, débutant par des sanglots, se terminaient dans un flux de larmes ; et on avait pratiqué tous les remèdes, depuis les tisanes jusqu’aux moxas, si bien que, par lassitude, elle accepta les offres de Bouvard.

Quand il eut congédié la servante et poussé les verrous, il se mit à frictionner son abdomen en appuyant sur la place des ovaires. Un bien-être se manifesta par des soupirs et des bâillements. Il lui posa un doigt entre les sourcils au haut du nez ; tout à coup elle devint inerte. Si on levait ses bras, ils retombaient ; sa tête garda les attitudes qu’il voulut, et les paupières à demi closes, en vibrant d’un mouvement spasmodique, laissaient apercevoir les globes des yeux, qui roulaient avec lenteur ; ils se fixèrent dans les angles, convulsés.

Bouvard lui demanda si elle souffrait, elle répondit que non ; ce qu’elle éprouvait maintenant, elle distinguait l’intérieur de son corps.

— Qu’y voyez-vous ?

— Un ver.

— Que faut-il pour le tuer ?

Son front se plissa :

— Je cherche… ; je ne peux pas, je ne peux pas.

À la deuxième séance, elle se prescrivit un bouillon d’orties ; à la troisième, de l’herbe au chat. Les crises s’atténuèrent, disparurent. C’était vraiment comme un miracle.