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Bouvard ? Pas du tout ; elle préférait les maigres. Il osa lui demander si elle avait eu des amoureux ?

— Jamais !

Puis, se rapprochant, il contemplait son nez fin, sa bouche étroite, le tour de sa figure. Il lui adressa des compliments et l’exhortait à la sagesse.

En se penchant sur elle, il apercevait dans son corsage des formes blanches, d’où émanait une tiède senteur, qui lui chauffait la joue. Un soir, il toucha des lèvres les cheveux follets de sa nuque, et il en ressentit un ébranlement jusqu’à la moelle des os. Une autre fois, il la baisa sur le menton, en se retenant de ne pas mordre sa chair, tant elle était savoureuse. Elle lui rendit son baiser. L’appartement tourna. Il n’y voyait plus.

Il lui fit cadeau d’une paire de bottines, et la régalait souvent d’un verre d’anisette…

Pour lui éviter du mal, il se levait de bonne heure, cassait le bois, allumait le feu, poussait l’attention jusqu’à nettoyer les chaussures de Bouvard.

Mélie ne s’évanouit pas, ne laissa pas tomber son mouchoir, et Pécuchet ne savait à quoi se résoudre, son désir augmentant par la peur de le satisfaire.

Bouvard faisait assidûment la cour à Mme Bordin.

Elle le recevait, un peu sanglée dans sa robe de soie gorge-de-pigeon, qui craquait comme le harnais d’un cheval, tout en maniant par contenance sa longue chaîne d’or.

Leurs dialogues roulaient sur les gens de Chavignolles ou « défunt son mari », autrefois huissier à Livarot.