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— Quand la parole amène des crimes, cher monsieur, permettez !

— Cependant, reprit Pécuchet, quelle démarcation établir entre les phrases innocentes et les coupables ? Telle chose défendue maintenant sera, par la suite, applaudie.

Et il blâma la manière féroce dont on traitait les insurgés.

Marescot allégua naturellement la défense de la société, le salut public, loi suprême.

— Pardon, dit Pécuchet, le droit d’un seul est aussi respectable que celui de tous et vous n’avez rien à lui objecter que la force, s’il retourne contre vous l’axiome.

Marescot, au lieu de répondre, leva les sourcils dédaigneusement. Pourvu qu’il continuât à faire des actes, et à vivre au milieu de ses assiettes, dans son petit intérieur confortable, toutes les injustices pouvaient se présenter sans l’émouvoir. Les affaires le réclamaient. Il s’excusa.

Sa doctrine du salut public les avait indignés. Les conservateurs parlaient maintenant comme Robespierre.

Autre sujet d’étonnement : Cavaignac baissait. La garde mobile devint suspecte. Ledru-Rollin s’était perdu, même dans l’esprit de Vaucorbeil. Les débats sur la constitution n’intéressèrent personne et, au 10 décembre, tous les Chavignollais votèrent pour Bonaparte.

Les six millions de voix refroidirent Pécuchet à l’encontre du Peuple, et Bouvard et lui étudièrent la question du suffrage universel.

Appartenant à tout le monde, il ne peut avoir d’intelligence. Un ambitieux le mènera toujours,