Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/203

Cette page a été validée par deux contributeurs.

capitaine de l’Empire, et il dit, après l’envahissement de la Chambre au 15 mai :

— Si les grades militaires se donnent comme ça dans la capitale, je ne m’étonne plus de ce qui arrive !

La réaction commençait.

On croyait aux purées d’ananas de Louis Blanc, au lit d’or de Flocon, aux orgies royales de Ledru-Rollin, et comme la province prétend connaître tout ce qui se passe à Paris, les bourgeois de Chavignolles ne doutaient pas de ses intentions, et admettaient les rumeurs les plus absurdes.

M. de Faverges, un soir, vint trouver le curé pour lui apprendre l’arrivée en Normandie du Comte de Chambord.

Joinville, d’après Foureau, se disposait, avec ses marins, à vous réduire les socialistes. Heurtaux affirmait que prochainement Louis Bonaparte serait consul.

Les fabriques chômaient. Des pauvres, par bandes nombreuses, erraient dans la campagne.

Un dimanche (c’était dans les premiers jours de juin), un gendarme, tout à coup, partit vers Falaise. Les ouvriers d’Acqueville, Liffard, Pierre-Pont et Saint-Rémy marchaient sur Chavignolles.

Les auvents se fermèrent, le conseil municipal s’assembla, et résolut, pour prévenir des malheurs, qu’on ne ferait aucune résistance. La gendarmerie fut même consignée, avec l’injonction de ne pas se montrer.

Bientôt on entendit comme un grondement d’orage. Puis le chant des Girondins ébranla les carreaux ; et des hommes, bras dessus, bras dessous, débouchèrent par la route de Caen, poudreux,