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— Inutile.

— Pourquoi pas ?

— Ah ! vous êtes trop dangereux !

Et, dans le saut qu’elle fit, son bas blanc parut.

Bouvard se blâma d’avoir raté l’occasion. Bah ! elle se retrouverait, et puis les femmes ne sont pas toutes les mêmes. Il faut brusquer les unes, l’audace vous perd avec les autres. En somme, il était content de lui, et s’il ne confia pas son espoir à Pécuchet, ce fut dans la peur des observations, et nullement par délicatesse.

À partir de ce jour-là, ils déclamèrent devant Mélie et Gorju, tout en regrettant de n’avoir pas un théâtre de société.

La petite bonne s’amusait sans y rien comprendre, ébahie du langage, fascinée par le ronron des vers. Gorju applaudissait les tirades philosophiques des tragédies et tout ce qui était pour le peuple dans les mélodrames ; si bien que, charmés de son goût, ils pensèrent à lui donner des leçons, pour en faire plus tard un acteur. Cette perspective éblouissait l’ouvrier.

Le bruit de leurs travaux s’était répandu. Vaucorbeil leur en parla d’une façon narquoise. Généralement on les méprisait.

Ils s’en estimaient davantage. Ils se sacrèrent artistes. Pécuchet porta des moustaches, et Bouvard ne trouva rien de mieux, avec sa mine ronde et sa calvitie, que de se faire « une tête à la Béranger ! »

Enfin, ils résolurent de composer une pièce.

Le difficile c’était le sujet.

Ils le cherchaient en déjeunant, et buvaient du café, liqueur indispensable au cerveau, puis deux