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et Gorju les accompagna jusque dans la cuisine, où Germaine arrivait, en se traînant, pour faire le dîner.

Ils remarquèrent sur la table une bouteille de Calvados, aux trois quarts vidée.

— Sans doute par vous ! dit Pécuchet à Gorju.

— Moi ! jamais.

Bouvard objecta :

— Vous étiez le seul homme dans la maison.

— Eh bien, et les femmes ? reprit l’ouvrier, avec un clin d’œil oblique.

Germaine le surprit :

— Dites plutôt que c’est moi !

— Certainement c’est vous !

— Et c’est moi, peut-être qui ai démoli l’armoire !

Gorju fit une pirouette.

— Vous ne voyez donc pas qu’elle est soûle !

Alors ils se chamaillèrent violemment, lui pâle, gouailleur, elle empourprée, et arrachant ses touffes de cheveux gris sous son bonnet de coton. Mme Bordin parlait pour Germaine, Mélie pour Gorju.

La vieille éclata.

— Si ce n’est pas une abomination ! que vous passiez des journées ensemble dans le bosquet, sans compter la nuit ! espèce de Parisien, mangeur de bourgeoises ! qui vient chez nos maîtres pour leur faire accroire des farces !

Les prunelles de Bouvard s’écarquillèrent.

— Quelles farces !

— Je dis qu’on se fiche de vous !

— On ne se fiche pas de moi ! s’écria Pécuchet.

Et, indigné de son insolence, exaspéré par les