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— Mélie ! es-tu là, Mélie ?

Une jeune fille parut ; sur son commandement, alla « tirer de la boisson », et revint près de la table servir ces messieurs.

Ses bandeaux, de la couleur des blés, dépassaient un béguin de toile grise. Tous ses pauvres vêtements descendaient le long de son corps sans un pli et, le nez droit, les yeux bleus, elle avait quelque chose de délicat, de champêtre et d’ingénu.

— Elle est gentille, hein ! dit le menuisier, pendant qu’elle apportait des verres. Si on ne jurerait pas une demoiselle costumée en paysanne ! et rude à l’ouvrage, pourtant ! Pauvre petit cœur, va ! quand je serai riche, je t’épouserai !

— Vous dites toujours des bêtises, monsieur Gorju, répondit-elle d’une voix douce, sur un accent traînard.

Un valet d’écurie vint prendre de l’avoine dans un vieux coffre, et laissa retomber le couvercle si brutalement qu’un éclat de bois en jaillit.

Gorju s’emporta contre la lourdeur de tous « ces gars de la campagne », puis, à genoux devant le meuble, il cherchait la place du morceau. Pécuchet, en voulant l’aider, distingua sous la poussière des figures de personnages.

C’était un bahut de la Renaissance, avec une torsade en bas, des pampres dans les coins ; et des colonnettes divisaient sa devanture en cinq compartiments. On voyait au milieu Vénus-Anadyomène debout sur une coquille, puis Hercule et Omphale, Samson et Dalila, Circé et ses pourceaux, les filles de Loth enivrant leur père ; tout cela délabré, rongé de mites, et même le panneau