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suspendre son battement ; et on n’entendait plus que le petit bruit des sources.

Ils titubaient sur des herbes gluantes, ou bien ils avaient à sauter des trous. Bouvard s’assit près du rivage, et contempla les vagues, ne pensant à rien, fasciné, inerte. Pécuchet le ramena vers la côte pour lui faire voir un ammonite incrusté dans la roche, comme un diamant dans sa gangue. Leurs ongles s’y brisèrent, il aurait fallu des instruments, la nuit venait d’ailleurs. Le ciel était empourpré à l’occident et toute la plage couverte d’une ombre. Au milieu des varechs presque noirs, les flaques d’eau s’élargissaient. La mer montait vers eux ; il était temps de rentrer.

Le lendemain dès l’aube, avec une pioche et un pic, ils attaquèrent leur fossile dont l’enveloppe éclata. C’était un « ammonites nodosus », rongé par les bouts, mais pesant bien seize livres, et Pécuchet, dans l’enthousiasme, s’écria :

— Nous ne pouvons pas faire moins que de l’offrir à Dumouchel !

Puis ils rencontrèrent des éponges, des térébratules, des orques, et pas de crocodile ! À son défaut, ils espéraient une vertèbre d’hippopotame ou d’ichtyosaure, n’importe quel ossement contemporain du déluge, quand ils distinguèrent à hauteur d’homme, contre la falaise, des contours qui figuraient le galbe d’un poisson gigantesque.

Ils délibérèrent sur les moyens de l’obtenir.

Bouvard le dégagerait par le haut, tandis que Pécuchet, en dessous, démolirait la roche pour le faire descendre doucement, sans l’abîmer.

Comme ils reprenaient haleine, ils virent au-dessus de leur tête, dans la campagne, un douanier