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CORRESPONDANCE

1954. À SA NIÈCE CAROLINE.
Dimanche 5 heures ½ [15 février 1880].

Eh bien, pauvre fille, comment va la santé ? Comment va la peinture ? Ce matin, en faisant un tour (solitaire, bien entendu) sur la terrasse, et en pensant à toi, une idée m’est venue, dont tu feras ce que tu voudras. Ton modèle, Cécile, est peu favorable aux flamboiements du pinceau. Comme contraste, si tu prenais ton ami J.-M. de Heredia ? Hein ? Son refus de poser m’étonnerait. Peut-être même ta proposition le flatterait-elle. Un portrait ferait valoir l’autre. En l’habillant (Heredia) rembranesquement, ou plutôt à la Vélasquez, il serait superbe.

Tu as encore le temps de t’y mettre.

En attendant mes livres d’éducation qu’on doit m’envoyer de Paris, je me ronge et je remanie mon plan ; ou plutôt j’ai une venette abominable de mon chapitre. Aussi, dans la peur de m’en dégoûter, je m’y mets ce soir même !!! à la grâce de Dieu !

Toute ma journée d’hier s’est passée à lire Nana (de 10 heures du matin à 11 heures et demie du soir, sans désemparer). Eh bien, on dira ce qu’on voudra. Les mots orduriers y sont prodigués. Émilien [ ? sic] est ignoble, et il y a des choses d’une obscénité sans pareille. Tous ces reproches sont justes, mais c’est une œuvre énorme faite par un homme de génie ! Quels caractères ! quels cris de passion ! quelle ampleur ! et quel vrai comique !