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CORRESPONDANCE

défaut de votre roman dont, à la première lecture, je ne m’étais pas rendu compte. Il manque aux « Sœurs Vatard », comme à « l’Édu. sentim », la fausseté de la perspective ! Il n’y a pas progression d’effet. Le lecteur, à la fin du livre, garde l’impression qu’il avait dès le début. L’art n’est pas la réalité. Quoi qu’on fasse, on est obligé de choisir dans les éléments qu’elle fournit. Cela seul, en dépit de l’école, est de l’idéal, d’où il résulte qu’il faut bien choisir. Les descriptions sont excellentes, les caractères bien observés. On dit partout : c’est ça, et on croit à votre fiction, dont le tour de force est exécuté. Ce qui m’a frappé le plus, c’est la psychologie ; vous avez des analyses qui sont celles d’un maître. Dans votre prochain livre, donnez donc pleine carrière à votre faculté, qui vous est naturelle, et qui vous appartient en propre.

Le fond de votre style, sa pâte même, est très solide. Or, je vous trouve modeste de n’y pas croire. Pourquoi avoir voulu le renforcer par des expressions énergiques et souvent grossières ? Quand c’est l’auteur qui parle, pourquoi parlez-vous comme vos personnages ? Notez que vous affaiblissez par là l’idiome de vos personnages. Que je ne comprenne pas une locution employée par un voyou parisien, il n’y a pas de mal. Si vous trouvez cette locution typique, indispensable, je m’incline, je n’accuse que mon ignorance. Mais quand l’écrivain emploie, par lui-même, un tas de mots qui ne sont dans aucun dictionnaire, alors j’ai le droit de me révolter contre lui. Car vous me blessez, vous gâtez mon